En 2016 lors de son assemblée générale, la MSA des Alpes du Nord a pris conscience des difficultés des éleveurs qui subissent la prédation. Un réseau composé de médecins, psychologues, assistantes sociales… est alors constitué pour mener une action sur les départements de la Savoie, Haute-Savoie et Isère. Objectif : rompre l’isolement, porter secours et prévenir des risques du métier les éleveurs face au loup.

Travailler en réseau pour recueillir la détresse des éleveurs

Comment détectez-vous un éleveur en détresse ?

Marie-Paule Le Guen : Pour construire notre action, nous avons étroitement collaboré avec la DDT. Seuls, nous ne pouvons pas détecter les éleveurs en difficulté. Il faut créer et travailler en réseau d’alerte. Sur l’Isère, nous sommes en train de le constituer sur le même modèle que celui de la Savoie.

Les éleveurs sont des montagnards, souvent taiseux. Ils n’ont pas envie que nous nous mêlions de leurs affaires. L’entourage voit que l’éleveur ne va pas bien et nous alerte. Mais comment fait-on pour l’aborder ? Nous avons travaillé, avec la DDT qui peut être aussi un lieu de détection, sur les mots et la manière d’en parler.

Dans un moment difficile, il est plus naturel de se tourner vers ses pairs. Alors avec le syndicat ovin de la Maurienne, nous avons formé, des éleveurs à l’écoute active. Savoir écouter l’autre, ça s’apprend. Ce n’est pas facile surtout quand soi-même, on a été victime d’attaque… Au début nous avons mis le numéro de portable des veilleurs sur une plaquette, au final, ils ont reçu très peu d’appels. Mais ils ont vu augmenter le nombre de passages chez eux. Leur confrère mine de rien passe et leur parle de ce qui s’est passé. Des épouses, des voisins viennent signaler une détresse. Ces veilleurs ont une fonction de passage de la parole sur le territoire. Ce dispositif est tout nouveau, nous sommes en train de l’éprouver. Ce sont les éleveurs eux-mêmes qui en ont eu l’idée.

La détection se fait dans la dentelle. Il faut aller apprivoiser la personne pour que la confiance naisse, sinon c’est l’échec. Puis nous MSA, nous pouvons intervenir.

Quelles sont vos actions, vos interventions pour aider les éleveurs ?

Marie-Paule Le Guen : Ce réseau des veilleurs est renforcé par celui des assistantes sociales, des élus, de la MSA, des médecins du travail…. il y a aussi le réseau des psychologues de proximité que l’on peut appeler pour venir nous soutenir ou désamorcer une situation inquiétante. Ils peuvent intervenir par téléphone ou de visu, aller chez l’éleveur ou le recevoir à son cabinet. Pour intervenir, il faut que la personne donne son accord, sinon on ne peut pas proposer d’accompagnement. Parfois il faut aller le chercher, demander à son entourage de le préparer. Ça demande du tact, de la pudeur et un respect infini. C’est le respect de cet équilibre qui permet que ça fonctionne.

Au niveau de l’action sociale, nous essayons de proposer l’aide au répit. Elle a plusieurs formes. Ça peut-être un remplacement sur la ferme, partir prendre l’air avec sa famille un jour ou deux et puis plus ambitieux des départs en vacances. Il faut en moyenne 2 ans pour arriver à les faire partir en vacances.

L’autre action que l’on va prochainement mener est la création de groupes sur le répit pour les victimes de la prédation. Nous l’avons testé avec les éleveurs vigies ou des éleveurs en situation d’épuisement professionnel dans la Vallée de Thônes. Ce travail de groupe permet de répondre au problème de l’isolement ; on propose à des éleveurs de se réunir 3 à 4 fois. Accompagnés d’un médecin du travail, ils réfléchissent sur leur rapport au travail et mettent en place un plan d’actions pour apprendre à se préserver.

Pour construire ces accompagnements et les supports de communication (films, plaquette…), il nous a fallu vingt-deux réunions d’échanges, de mises en mot. C’est un travail difficile et de longue haleine.