Installé à La Bresse, dans les montagnes du parc naturel régional des Ballons des Vosges, en limite du Haut-Rhin, Jean-Yves a repris l’élevage de brebis de son père Gilles, en 2003. En 2011, le retour du loup a fait connaître des heures noires à cette ferme familiale. Aujourd’hui, il élève 350 brebis pour la viande, 80 brebis laitières, 30 vaches de race Limousine et une dizaine de chevaux. Gardées par des chiens de protection, les brebis allaitantes pâturent de mai à novembre et les laitières restent près de la ferme pour être rentrées à la bergerie, la nuit venant.

A cause du loup, il a fallu se poser la question : vendre la ferme ou se diversifier

Quelles conséquences l’arrivée des loups a-t-elle eux sur votre activité ?

Depuis son retour du loup, j’ai eu 200 animaux de tuées : des brebis, des agneaux, des veaux et aussi des poulains. J’ai alors connu des problèmes financiers. Je suis resté 4 ans sans pouvoir faire d’investissement nouveau, à uniquement rembourser les prêts en cours. Une entreprise qui n’investit plus, ce n’est pas une entreprise qui peut aller loin. Il a fallu se poser la question : vendre la ferme ou se diversifier.

En 2016, Lucie, ma compagne, m’a rejoint. Nous avons acheté des brebis laitières et créé un atelier pour transformer le lait en yaourt et en fromages. Nous avons fait ce choix pour anticiper les attaques des loups devenues trop importantes. Le troupeau rentre tous les soirs à la bergerie et pâturent à quelques centaines de mètres de la maison.

Si la pression du loup devient trop importante, nous diminuerons la taille du troupeau allaitant et nous développerons notre activité laitière. Ce sera plus facile que de démarrer une nouvelle activité. Nos produits commencent à être connus et appréciés.

Quelles contraintes le loup apporte-t-il dans votre vie de tous les jours ?

Nos brebis sont réparties en plusieurs lots et éparpillées sur les pentes et les plateaux du massif à 800 mètres d’altitude. Pour surveiller les troupeaux, nous avons recruté un aide berger et acheté trois chiens de protection. Le recrutement du berger a été une vraie galère car nous ne pouvions lui offrir qu’un mi-temps. Mais nous y sommes arrivés. Pour les protéger, j’ai aussi posé plus de 50 kilomètres de clôture électrifiée ou du grillage haut de 90 à 110 cm. Il y a des zones où les brebis pâturent mais elles sont vulnérables. Ces zones sont non protégeables, pour moi, mais pas pour l’état. Il y a des sentiers avec des randonneurs, des pistes de décollage pour les parapentes… je ne peux pas mettre de chien de protection. La cohabitation avec les usagers de la montagne serait difficile.

En quoi le loup modifie ton quotidien d’éleveur ?

La présence du loup nécessite une surveillance importante des troupeaux. Tous les jours, il faut faire le tour des différents lots. En voiture, je parcours 24 km… ce qui n’est pas génial pour l’environnement.

Mais le plus difficile à supporter, c’est le stress. A la première attaque, tu es stupéfait. A la deuxième, tu passes par une phase d’écœurement et à la troisième, tu ne manges plus, tu ne dors plus, tu perds du poids, tu entres en dépression. C’est très difficile à vivre. Tu as une attaque, puis plus rien pendant trois semaines et puis d’un seul coup, ça arrive. Puis à nouveau plus rien pendant 3 mois et le cauchemar recommence… Tu te sens épié, surveillé, harcelé. J’ai 3 loups qui vivent à proximité de ma ferme. Tu ne peux pas travailler la journée, surveiller les animaux la nuit. On n’est pas des surhommes, on a besoin de repos. Si le loup veut venir, il vient peu importe les moyens de protection mis en place. Il y arrive toujours.

Comment envisages-tu l’avenir ?

L’avenir… j’espère que je ne serai jamais obligé d’arrêter ma production de viande pour faire que du lait. Cela signifierait la fin du travail que nous avons entrepris. Ce sont des hectares de prairies qui retourneront en friche, alors que mon père a passé toute sa vie à défricher pour entretenir les paysages. Nos montagnes sont façonnées à notre manière. Si c’est beau et si les montagnes vosgiennes plaisent autant, c’est grâce à notre travail. Par notre activité, nous l’améliorons. La qualité de l’herbe sur les plateaux est le résultat, nous fauchons l’herbe deux fois par an et nos animaux la pâturent à la belle saison. Cette herbe est aussi douce que du gazon.